sábado, 11 de junho de 2011

UM IMENSO ADEUS

«Plus tard, j'ai vu des types voler le morceau de pain noir d'un camarade. Quand la survie d'un homme tient précisément à cette mince tranche de pain noir, quand sa vie tient à ce fil noirâtre de pain humide, voler ce morceau de pain noir c'est pousser un camarade vers la mort. Voler ce morceau de pain c'est choisir la mort d'un autre homme pour assurer sa propre vie, pour la rendre plus probable, tout au moins. Et pourtant, il y avait des vols de pain. J'ai vu des types pâlir et s'effondrer en constatant qu'on leur avait volé leur morceau de pain. Et ce n'était pas seulement un tort qu'on leur causait à eux, directement. C'était un tort irréparable que l'on nous causait à tous. Car la suspicion s'installait, et la méfiance, et la haine. N'importe qui avait pu voler ce morceau de pain, nous étions tous coupables. Chaque vol de pain faisait de chacun de nous un voleur de pain en puissance. Dans les camps, l'homme devient cet animal capable de voler le pain d'un camarade, de le pousser vers la mort.
Mais dans les camps l'homme devient aussi cet être invincible capable de partager jusqu'à son dernier mégot, jusqu'à son dernier morceau de pain, jusqu'à son dernier souffle, pour soutenir les camarades. C'est-à-dire, ce n'est pas dans les camps que l'homme devient cet animal invincible. Il l'est dejà. C'est une possibilité inscrite dès toujours dans sa nature sociale. Mais les camps sont des situations limites, dans lesquelles se fait plus brutalement le clivage entre les hommes et les autres.»